Pour interroger notre manière actuelle d'aborder la causalité, l'approche aristotélicienne nous ouvre à une conception plus proche de celle de l'Evangile.
Contre son maître Platon, Aristote veut réintroduire le changement dans la nature et ramener les Idées sur terre. Pour cela, il ajoute entre l'Être et le Non-Être un troisième terme : la puissance. Pour comprendre une chose, dit-il, il faut aussi penser son devenir. Par exemple, une graine de tournesol existe en acte comme graine, et en puissance comme la fleur épanouie qu'elle sera peut-être un jour. Changer, c'est passer de la puissance à l'acte, développer une de ses virtualités.
Ce n'est pas tout. On change, précise Aristote, en vertu d'une cause. Et le philosophe de recenser quatre causes différentes, qui sont autant d'ingrédients du changement : matérielle, formelle, efficiente et finale. Prenons l'exemple d'une statue. La cause matérielle est, comme son nom l'indique, la matière dans laquelle sera sculptée la statue : du marbre, du bois... La cause formelle est la forme qui sera imprimée à la matière, l'idée que le sculpteur a en tête avant de commencer son travail. La cause efficiente est celle qui provoque le changement : les coups de ciseau qui taillent le bois. La cause finale est le but visé, par exemple honorer la commande d'un client.
Nous pensons spontanément que la cause la plus importante est la cause efficiente : ce sont le sculpteur et ses coups de ciseau qui travaillent la matière, façonnant la statue. En fait, notre tendance à privilégier la cause efficiente date de la Renaissance. Aristote - et l'Antiquité et le Moyen Age avec lui - pense que la cause décisive est la cause finale. Autrement dit, ce qui détermine un être, c'est sa destination, ce à quoi il sert. Ainsi, la véritable cause de la statue, c'est son commanditaire. L'artiste, lui, n'est qu'un artisan qui réalise l'oeuvre en fonction des besoins de celui qui le paie.
D'après Tout a une finalité par Luc de Brabandere et Stanislas Deprez
Mis en ligne le 18/09/2007 [extrait]
Cette manière de voir nous ouvre à une manière plus riche de considérer ce qui arrive, d'autres causalités que l'efficiente peuvent être considérées. L'action de Dieu qui se manifeste dans la série des engendrements par les cas « limites » [la cause finale au-delà des causes efficientes], autorise Joseph à considérer autrement la situation de Marie et à entrer dans le projet, le dessein divin. Joseph prend ce chemin unique [accepter de devenir père adoptif de Jésus] pour une finalité unique [le salut du Peuple] mais en lien avec tous les autres chemins [tous les engendrements de sa lignée]...
Père Jean-Luc Fabre