Le choc de la rencontre avec nos 3 « sœurs » arméniennes en démarche d’asile en France (dont je tairai les prénoms, en les remplaçant par des pseudonymes pour leur éviter des ennuis) a fait basculé, hors des sentiers battus, nos vies de laïcs chrétiens impliqués dans une paroisse.
Nos trois « sœurs » ont débarqué un jour, à notre église. L’une d’entre elles, a demandé à brûle pourpoint, si elle pouvait jouer de l’harmonium dans nos messes. D’emblée, les responsables ont répondu « oui ». Et, de fil en aiguille nous avons fait connaissance, le courant est passé à la vitesse du son car elles sont charmantes, et nous avons ainsi tissé des liens d’amitié.
Nous avons appris que la mère (Mona) une trentaine d’années, avait été professeur de piano, la grand-mère (Anna), la soixantaine, professeur de chorale et la petite fille (Louna)
4 ans, avaient baigné en Arménie, dans un monde de musique classique.
Dans notre église très vite, les choses se sont organisées de telle manière que Mona puisse intégrer une équipe liturgique pour l’accompagner à l’harmonium, au lieu d’assurer de simples remplacements.
Mona avait trois obstacles à franchir : le rite chrétien romain, elle est de rite chrétien orthodoxe ; la langue française, elle est arménienne parle couramment arménien et russe mais elle apprend le français à la faculté ; et le chant liturgique qui se distingue du répertoire de la musique classique. Elle a su enjamber ces obstacles sans l’ombre d’une hésitation. Mona est du genre à enjamber d’abord et à se retourner ensuite, pour mesurer les obstacles qu’elle vient de franchir.
Nous nous sommes engagés auprès d’elles, en nous constituant, pour un certain nombre de membres de la paroisse, en un comité de soutien. Mona, Anna et Louna se sont impliquées dans notre communauté chrétienne : messes, réunions liturgiques repas paroissiaux, éveil à la foi, désormais, elles font partie intégrante de notre famille chrétienne.
Bien évidemment, nous étions loin d’imaginer en commençant, les multiples péripéties par lesquelles il nous faudrait passer, en étant à leurs côtés - le parcours se révélant un véritable parcours d’obstacles, chemin faisant, c’est lui qui nous a transformés en profondeur.
Auprès d’elles ou grâce à elles, nous avons appris à laisser de côté, nos petits « égos », nos chamailleries et rivalités du vieux quant-à-soi, notre désir de « vouloir à tout prix » à leur place pour rester centrés sur un seul objectif : les aider concrètement, les soutenir humainement et les accompagner spirituellement sur leur chemin périlleux, montagneux et escarpé : un chemin à la « Golgotha » qui cache bien son nom.
Leur « Golgotha » est devenu le nôtre, comme je leur répète souvent, en plaisantant avec elles. C’est peu ou prou Simon de Cyrène qui se porte au secours du Christ pour soutenir sa croix ou Véronique essuyant délicatement son visage tuméfié. Deux mille ans après, on en parle encore.
Du « Golgotha » personne n’en veut mais quand il est là, quelque que soit la figure que l’on y incarne, il nous marque à jamais. Entrer dans le « Golgotha de l’autre » c’est aussi quelque part le nôtre, s’il est assumé et accepté comme tel, il nous «boule-verse ou verse-boule » à tout jamais.
Il est traversé par d’inoubliables éclairs de joie, de partage et de larmes aussi - à n’en pas douter des moments d’exceptionnalité sur fond d’aléas et d’incertitudes liés
au contexte politique d’immigration qui nous échappe de part en part.
L’issue au moment où je vous parle n’est pas certaine. Mona me confiait ces temps derniers qu’en regardant en arrière, les années passées en France, ces années l’ont faite « grandir » à pas de géants. Elle dit « grandir » moi je dis « boule-verser ou verse-bouler » et vous, ami lecteur quel est le verbe qui vous vient pour prendre chair, aujourd’hui ?
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Anne-Marie D.