Quelle minutie pour figurer la chair : mains veinées, noueuses, texture soyeuse des cheveux, petit corps frêle du nourrisson... et pourtant il ne s'agit pas de réalisme.
Ce tableau a quelque chose d'étrange. Quelle mère laisserait son petit nu par terre devant elle sans s'empresser de le réchauffer sur son cœur ?
Plus fragile, plus exposé que cet enfant-là, ce n'est pas possible. Jésus est le plus dépouillé des enfants des hommes. Il « n'a pas où reposer sa tête » (Matthieu 8, 20).
Posé à même le sol, plus bas que tous, il fait corps avec la terre, jusque dans la couleur de sa chair. Pourtant il est le Fils de Dieu. Tout le rappelle : la lumière qui irradie de son corps en fins rayons, la présence des anges, ce mélange d'attention émue et de distance physique qui caractérise les personnages vis-à-vis de lui : une attitude d'adoration. Leurs mains tendues l'entourent comme une sorte de couronne royale.
Silence... la plupart des bouches sont fermées. Tout se passe à l'intérieur des êtres.
Le peintre a représenté les anges (aux vêtements chatoyants) dans une taille différente qui les distingue des humains. Leurs vêtements chatoyants, de type liturgique, suggèrent que l'Eglise ne se limite pas au monde d'ici-bas. L'adoration de ces anges est si parfaite qu'ils sont au-delà du sourire, ils n'en ont pas besoin. Le sourire ne serait-il qu'une (admirable) compensation à l'imperfection humaine ? En tout cas, celui qu'on voit réjouir la face de deux des bergers est bien attendrissant. Ces hommes forment un groupe sombre, encombré de leurs outils de travail.
Sur la gauche au contraire, Joseph le descendant de David, bien que discrètement en retrait, porte un vêtement pourpre et ses mains vides ne sont que prière.
Quant à Marie, elle est entièrement tournée vers son enfant comme si le reste du monde n'existait pas. Marie fait partie des humains, elle en a la taille, mais elle a aussi des points communs avec les messagers du ciel : avec eux, elle est la plus proche de l'enfant; elle a le même visage grave qu'eux, une robe bleue comme certains d'entre eux, des cheveux d'or qui évoquent les leurs...
Elle a la place centrale dans ce tableau, mais seulement parce qu'il y a, à ses genoux, ce
petit-être de rien du tout qui l'illumine d'une façon toute particulière.
Monique SCHERRER
Hugo Van der Goes – L'Adoration des bergers (panneau central du triptyque Portinari) – 1477/1478
Huile sur bois, 253cm x 304cm pour ce panneau, musée des Offices, Florence
Cette « adoration » constitue le panneau central d'un triptyque commandé vers 1475 par la famille Portinari, de riches banquiers italiens installés à Bruges, dans les Flandres. Hugo Van der Goes, peintre flamand de la seconde moitié du XVe siècle (1440 environ -1482), travailla surtout à Gand ; il entra dans la vie religieuse et continua de peindre, avant de perdre la raison.
Pélerin Magazine - 20.12.2007 ; image http://idata.over-blog.com/0/05/17/99/voir4/NATIVITE-VAN-DER-GOES.jpg