Il entendit la porte claquer, des pas descendre l'escalier, une voiture démarrer et
s'éloigner...
- Eh voilà, elle m'a oublié, je suis tout seul sur ce balcon à peine ouvert sur le ciel ; elle aurait pu au moins arroser un peu la terre où son grand-père m'a planté pour lui plaire...je vais me dessécher et mourir...
Un moineau qui passait par là se percha sur le rebord du petit balcon à l'affût de quelques miettes.
- Tiens, bonjour, dit le géranium, je suis content d'avoir un peu de compagnie...et peut-être un ami à qui dire mon souci...
- Cela ne m'intéresse guère, tu n'es qu'un vulgaire géranium tout maigrichon ...
- Oh mais, elles sont belles mes fleurs, elles mettent un peu de couleur dans la grisaille de ce béton…
- C'est vrai, dit l'oiseau plus conciliant, je reviendrai te voir d'un coup d'aile, si j'en trouve le temps.
C'est l'époque du chacun pour soi, on ne peut plus compter sur personne ....et le géranium cacha son désarroi sous ses feuilles... Un rayon de soleil vint le chatouiller soudain.
- Eh, l'ami, que t'arrive-t-il ? Tu m'as l'air bien tristounet, Il fait beau pourtant !
- Oui, mais si tu viens chauffer trop fort mes feuilles, tu vas me déshydrater et mes fleurs seront bientôt fanées ...
- ça, alors, tu te plains du soleil que je t'apporte, moi qui fait l'effort de me lever chaque matin pour donner chaleur et vie à la création toute entière ...
- Excuse-moi, je ne suis pas un ingrat, mais tu vois, il n'y a pas d'eau dans mon cache-pot et mes fleurs en mourront bientôt...
- Ne crains pas, crois simplement … n'as-tu donc pas confiance en ton créateur qui, à chaque printemps émaille de beauté jusqu'à l'herbe des champs ? Relève donc la tête et retrouve l'Espérance, cette éminente vertu, qu'on appelle savamment "théologale "....
- Oui tu as raison, mais tu sais, je connais mon catéchisme des vertus théolo qqchose d'abord il y en a trois : la foi, l'espérance et la charité...mais celle qui plait le plus au Bon Dieu c'est l'Espérance...du moins c'est ce que dit Charles Péguy, tu vois que je suis érudit soupira le géranium, j'ai souvent entendu ma petite maitresse réciter le poème :
Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient
Vers le berceau du Fils …
Ainsi une flamme tremblante
Elle seule conduira les vertus et les mondes révolus.
Mais l'espérance ne va pas de soi, et la grande tentation est la désespérance...Qui est la mienne en ce moment, je te l'avoue.
- Tu es certainement beaucoup plus savant qu'il n'y parait à première vue ! Je n'en reviens pas ! Mais je dois m'éclipser sous ce nuage qui nous prépare une petite pluie ...Je vais lui parler de ton problème...
- Oh merci, dit le géranium ragaillardi...
Ce fut une véritable averse qui faillit inonder le balcon ! « Eh, je n'en demandais pas tant, mais vous me sauvez la vie, vous êtes de vrais amis… »
Ainsi passèrent les jours et les semaines ...Le moineau revint, accompagné d'un oiseau blanc qui portait dans son bec un rameau d'olivier...
- Je suis très honoré, dit le géranium, tout confus, car je sais qui vous êtes : la colombe du saint Esprit, venez-vous de l'Arche de Noé ?
- ça, dit le moineau, c'est de l'histoire ancienne ...
Mais la colombe sourit et dit, en laissant tomber le rameau d'olivier : la paix soit avec toi, mon vaillant petit frère, la paix soit avec toi et elle s'envola …
C'est alors que claqua la porte d'entrée, et une voix s'exclama :"Papy vient voir, oh ! viens voir ton géranium !
Celui-ci, tout fier, se rengorgea, il ne savait pas qu'à force de tendre sa frêle tige vers le soleil et vers la pluie elle était devenue semblable (toutes proportions gardées!) à un coup de girafe et tout au bout trônait une jolie petite fleur rose ! Le grand-père fronça les sourcils et dit :" Géranium, tu es un vaillant petit soldat, et je suis fier de toi qui n'a cessé de te battre pour offrir à cette vilaine enfant à son retour le cadeau de cette belle fleur.» «et toi, ta négligence aurait pu lui coûter la vie s'il n'avait persévéré autant pratiquant la vertu d'espérance, que cela te serve d'exemple ! »
Ainsi s'achève notre histoire, il faut donc espérer contre toute espérance, sûr que le créateur de toute chose n'abandonne jamais ses enfants.
Jocelyne B.
Merci Louise pour la photo