[…] Le travail du Seigneur avait commencé avec un grand enthousiasme. On voyait que les malades étaient guéris, tous écoutaient avec joie la parole : "Le Royaume de Dieu est proche". Il semblait vraiment que la transformation du monde et l'avènement du Royaume de Dieu devaient être imminents ; que, finalement, la tristesse du peuple de Dieu allait se transformer en joie. On était dans l'attente d'un messager de Dieu qui devait prendre en main les rênes de l'histoire. Mais on vit ensuite que, certes, les malades étaient guéris, les démons avaient été expulsés, l'Evangile était annoncé, mais que, pour le reste, le monde restait comme il était. Rien ne changeait. Les romains dominaient encore. La vie de chaque jour était difficile, malgré ces signes, ces belles paroles. Et ainsi, l'enthousiasme s'éteignait peu à peu et, à la fin, comme nous le rapporte le sixième chapitre de Jean, les disciples abandonnèrent eux aussi ce Prédicateur qui prêchait, mais qui ne changeait pas le monde.
Qu'est-ce que ce message? Qu'est-ce qu'apporte ce Prophète de Dieu? se demandent-ils tous en fin de compte.
Le Seigneur parle du semeur qui sème dans le champ du monde. Et la semence semble comme sa Parole, comme ces guérisons, une chose vraiment petite par rapport à la réalité historique et politique. De même que la semence est petite, négligeable, sa Parole l'est aussi.
Toutefois, dit-il, dans la semence l'avenir est présent, car la semence contient en elle le pain de demain, la vie de demain. La semence ne semble presque rien, toutefois, la semence est la présence de l'avenir, elle est la promesse déjà présente aujourd'hui. Et ainsi, à travers cette parabole, il dit : nous sommes à l'époque des semailles, la Parole de Dieu ne semble que parole, presque rien. Mais ayez du courage, cette Parole contient la vie en elle! Elle porte du fruit! La parabole dit aussi qu'une grande partie de la semence ne porte pas de fruit car elle est tombée sur la route, sur la terre caillouteuse, etc. Mais la partie qui est tombée dans une bonne terre produit trente, soixante, cent fois plus.
Cela nous fait comprendre que nous devons être courageux même si la Parole de Dieu, le Royaume de Dieu, semble sans importance historique et politique. A la fin, Jésus, lors du Dimanche des Rameaux, a comme résumé tous ces enseignements sur la semence de la Parole : si le grain de blé ne tombe pas en terre et ne meurt, il reste seul, s'il tombe en terre et meurt, il porte des fruits abondants. Et ainsi, il a fait comprendre qu'Il est lui-même le grain de blé qui tombe en terre et meurt. Lors de la crucifixion, tout semble perdu, mais précisément ainsi, en tombant en terre, en mourant, sur la Voie de la Croix, il porte du fruit pour chaque époque, pour toutes les époques. Nous avons ici la finalisation christologique, selon laquelle le Christ lui-même est la semence, est le Royaume présent, ainsi que la dimension eucharistique : ce grain de blé tombe en terre et ainsi, le nouveau Pain grandit, le Pain de la vie future, la Sainte Eucharistie qui nous nourrit et qui s'ouvre aux mystères divins, pour la vie nouvelle.
Il me semble que dans l'histoire de l'Eglise, sous des formes différentes, sont toujours présentes ces questions qui nous tourmentent réellement : que faire ? Les gens semblent ne pas avoir besoin de nous, tout ce que nous faisons semble inutile. Toutefois, nous apprenons de la Parole du Seigneur que seule cette semence transforme toujours à nouveau la terre et l'ouvre à la vraie vie.
Je voudrais, le plus brièvement possible, répondre aux paroles de votre Evêque, mais je voudrais également dire que le Pape n'est pas un oracle, il est infaillible dans des situations très rares, comme nous le savons. Je partage donc avec vous ces questions. Je souffre moi aussi. Mais tous ensemble, nous voulons, d'une part, souffrir sur ces problèmes et également, tout en souffrant, transformer les problèmes ; car la souffrance est précisément la voie de la transformation et sans souffrance, on ne transforme rien.
Tel est également le sens de la parabole du grain de blé tombé en terre : ce n'est qu'à travers un processus de transformation dans la souffrance que l'on parvient au fruit et qu'apparaît la solution. Et si, pour nous, l'inefficacité apparente de notre prédication ne constituait pas une souffrance, cela serait un signe de manque de foi, de manque d'engagement véritable. Nous devons avoir à cœur ces difficultés de notre temps et les transformer en souffrant avec le Christ et nous transformer ainsi nous-mêmes. Et dans la mesure où nous sommes nous-mêmes transformés, nous pouvons également répondre à la question posée plus haut, nous pouvons également voir la présence du Royaume de Dieu et la faire voir aux autres.[…]
Benoît XVI, RENCONTRE AVEC LE CLERGÉ DU DIOCÈSE D'AOSTE, DISCOURS DU PAPE BENOÎT XVI Eglise paroissiale d'Introd (Val d'Aoste), Lundi 25 juillet 2005 http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2005/july/documents/hf_ben-xvi_spe_20050725_diocesi-aosta_fr.html ; photo http://a3.idata.over-blog.com/350x350/1/57/36/90/FLEURS/640.jpg