Le père Viennet fut non seulement le collaborateur mais le confesseur et le confident de l'abbé Pierre. Ce qu'il nous dit de la spiritualité du fondateur d'Emmaüs est extrêmement intéressant, et dénote une profonde correspondance entre ses intuitions et celles du pape François. Quelques notes de lecture en vrac :
Lisons le livre du père Jean-Marie Viennet (ex-secrétaire général d'Emmaüs) et de René Poujol, Le secret spirituel de l'abbé Pierre, paru chez Salvator :
« Ne vous résignez pas à vouloir être heureux
sans les autres », disait l'abbé Pierre. Antidote à un leit-motiv –
« avoir le dur courage d'être riches » – lancé il y a vingt ans et qui court de façon subliminale, justifiant le libéralisme antisocial : d'où les équivoques que l'on
constate aujourd'hui. ...
Le rôle de la famille du jeune Henri Grouès dans son futur engagement social... Le garçon voyait son père et ses amis agir pour aider les miséreux de Lyon. Chaque père ou mère catholique en 2014 doit peser sa responsabilité éducative : quelle priorité inculque-t-il (elle) aux siens ?
Le père Viennet résumant une pensée de l'abbé Pierre : « Il dépend de ma liberté de construire un monde de partage et d'amour... Pour que le Dieu d'amour soit crédible, il faut que ceux qui croient en lui soient eux-mêmes témoins crédibles de son amour. » L'abbé Pierre, verbatim : « Le croyant qui triche, disant facilement ''Dieu est bon, Dieu est amour'' parce qu'il se trouve dans une situation de privilégié en sécurité, ce croyant-là, dans le monde, désormais, ne peut être considéré, respecté, par personne. » Surtout quand il parade.
L'abbé Pierre : « Nous n'accomplirons notre mission de réaliser l'eucharistie du monde que si, après avoir communié à la présence sacramentelle, nous ne laissons pas notre communion mutilée... Si elle ne s'achève pas dans la communion à l'autre présence du Christ dans l'humanité, dans ceux qui pleurent, si nous laissons notre communion inachevée, elle est détestable à Dieu, elle est détestable aux hommes, parce qu'elle fait détester Dieu. »
L'abbé Pierre, homélie de 1959 à la cathédrale de Beyrouth : « Si nous évoquons nos pratiques, nos messes, et que nous n'avons pas aimé [concrètement, ceux qui souffrent], Jésus dira : ''Va-t-en, deux fois maudit, non seulement parce que tu n'as pas aimé, mais, fréquentant ma maison, venant manger à ma table, quand tu ressortais dans la ville après avoir communié à ma présence dans l'hostie, et que tu n'aimais pas, tu devenais le véritable responsable de ce que ceux qui souffraient me blasphémaient ne pouvaient pas croire que moi, l'Eternel, j'étais Amour, puisque mes amis étaient indifférents à la douleur des autres. »
Même homélie de Beyrouth, carrément prophétique : « A cette angoisse des pauvres répond l'angoisse des riches, angoisse engendrée par la peur de voir leur monde basculer, et disparaître leurs privilèges ; angoisse de devoir partager leurs richesses pour échapper à la violence des hommes... Le monde ne dort plus, l'une de ses moitiés tenue éveillée par la faim, et l'autre par la peur des affamés ! » Que chaque catholique français se confronte à cette vision... et se demande où va son coeur.
En 1946, l'abbé Pierre écrit : « Certaines formules (''il y aura toujours des pauvres parmi vous'') laissent trop facilement croire que les pauvres sont nécessaires à la religion, et que les oeuvres pieuses sont chargées d'entretenir la pauvreté plutôt que de la combattre. Il semble que les chrétiens se désintéressent trop facilement des révolutions nécessaires sur le plan des institutions pour juguler la misère. » Relire à ce sujet les textes de Benoît XVI et du pape François qui soulignent, après l'urgence de la conversion personnelle, la nécessité de changer les structures d'iniquité.
Le père Viennet parlant des communautés Emmaüs : « Il y a quelque chose de prophétique à ce que des hommes qui ont pu se ressentir à un moment de leur vie comme les ''rebuts'' de la société, retrouvent leur dignité en recyclant, précisément, les ''rebuts'' matériels de la société de consommation. Et plus, même, en étant dans une activité économique en avance sur leur temps, puisqu'elle intègre les exigences de préservation de l'environnement et de lutte contre le gaspillage... Car il va falloir inventer de nouveaux modèles, où la coopération l'emportera sur la compétitivité. » On retrouve là le terme même de « rebut » dont se sert le pape François pour dénoncer le système économique actuel, qui traite hommes et nature comme des déchets à rejeter. Double dénonciation : des responsables, et du système qu'ils ont édifié, qui les domine, et sur lequel ils se défaussent en le qualifiant de ''règle du jeu'' et de ''lois de l'économie''...
Et plus important que tout : le lien entre la foi, l'adoration et l'action pour et avec les autres. Car l'abbé Pierre était un mystique.