Etre accueilli, pour aller plus loin.... Notre Dame de Grasse
Deuxième annotation. Celui qui donne à un autre une manière et un ordre pour méditer ou contempler, doit raconter fidèlement l'histoire* de
cette contemplation* ou de cette méditation*, en ne parcourant les points que par une brève ou sommaire explication. 2 Car, lorsque celui qui contemple part de ce qui est le fondement véritable
de l'histoire, la parcourt, réfléchit par lui-même et trouve quelque chose qui lui explique et lui fasse sentir un peu mieux l'histoire, 3 soit par sa propre réflexion, soit parce que son
intelligence est éclairée par la grâce de Dieu, 4 il y trouve plus de goût et de fruit spirituel que si celui qui donne les exercices avait beaucoup expliqué et développé le sens de l'histoire ;
5 car ce n'est pas d'en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l'âme, mais de sentir et de goûter les choses intérieurement.
Exercices Spirituels Saint Ignace
Dès l’abord, cette statue intrigue, par la divergence des regards de Marie et de Jésus. Nous ne nous attendons pas à cela dans une statue de la Vierge avec l’Enfant. Ici, la Mère et l’Enfant, deux regards qui s’éloignent l’un de l’autre, regards difficiles à évaluer, à saisir même. Si celui de la Vierge se donne à voir sur la photo, celui de l’Enfant ne peut être que deviné. Mais si le regard importe pour l’homme, il n’est pas le tout de l’homme. Une observation un peu plus soutenue nous porte vers ce qui relie la Mère à l’Enfant... Les mains de la Vierge, délicatement, autorisent et retiennent le mouvement de l’Enfant. Que pouvons-nous donc en comprendre ? Chacun est sollicité par cet exercice, proposée par le sculpteur. Alors union ou désunion entre la Mère et l’Enfant ?
Une intuition pour avancer…
Je partirai d’une idée toute simple pour tenter d’analyser et commenter cette sculpture. La statue est une, réalisée par un seul et même artiste, la différence entre les deux, Marie et Jésus, doit donc être positive, reliée dans une unité, cette unité peut et doit laisser apparaître des tensions, qui s’offrent au spectateur pour lui donner d’entrer dans la scène. En effet, comment pourrions-nous entrer si tout était lisse, convenu… L’évangile n’est-il pas surtout la mise en scène des discordes entre Jésus et ses disciples, ce qui me donne à moi, le lecteur cherchant à devenir disciple, et qui suit de loin, accès à Celui qui se donne à tous, comme ils sont. Ces dissensions m’aident et me donnent de trouver ma première entrée et de pouvoir évoluer… Aussi devant cette statue, nous sommes, comme pour toute œuvre liturgique, appelés à un travail d’interprétation pour entrer, par celui-ci, en relation avec le mystère, qui s’est révélé. Ce mystère qui a mu jadis le disciple qu’était l’artiste. La statue est, de fait, tournée vers celui qui la regarde. Le corps de Marie ouvert nous invite à aller vers elle, l’enfant ne reposant que sur une cuisse l’implique, il n’est pas le tout de Marie. Nous avons, nous aussi, notre place en cette statue. Le mouvement de la statue est certainement là pour entrainer le spectateur. Il se sent accueilli par la Vierge et, dès lors, il peut être incité à aller vers là où pointe le mouvement de l’enfant… il peut aussi se penser comme un peu plus avancé que d’autres s’il considère encore le regard de la Vierge tourné, à vrai dire, vers des « encore plus loin »… Suis-je donc déjà en chemin, déjà en progrès ?
Maintenant que j’ai, d’une certaine manière, situé l’ensemble des acteurs, des protagonistes, je puis aller vers chacun en son particulier…
L’Enfant Jésus nous apparaît comme un enfant plein de vie et de dynamisme. Son port, très droit, manifeste le dynamisme vital en lui. Il est à ce moment du développement du bébé qui se tourne vers l’extérieur, vers un appel qui le sort de lui et le tend vers l’autre. Il est là pour découvrir, inventer de nouvelles significations… Il est autorisé par sa mère qui le porte, le soutient, le maintient… Désir vers l’autre, tout son petit être le manifeste purement, plein de nouveautés, juvénile, porté aussi. Un vrai chemin s’ouvre là, pour nous aussi, un mouvement pour le rejoindre. Nous le sentons capable d’initiation et aussi tout petit, faible en capacité d’action…
Marie est là et nous fait basculer vers lui. Jésus est toujours celui qu’elle a connu avant nous, elle nous précède, elle nous donne donc d’aller à lui… Si Jésus est petit, Marie apparaît ample, avec son siège, sa manière d’être assises, ses vêtements… A Cana, elle dira aux serviteurs « faites tout ce qu’il vous dira ». Marie sait depuis longtemps que son fils peut ce qui est unique… Que le fait de le savoir, lui confère cette place entre lui et nous… Elle est dans ce passage, devant renoncer à s’enfermer dans la relation avec lui, pour qu’il soit ouvert à son propre chemin et accessible aux autres. Elle est la médiatrice, celle par qui nous pouvons passer pour demander, entrer en relation… Son corps est passage, relation… ouverte à lui et aux autres, plein d’une intelligence relationnelle… prête à souffrir pour cette naissance spirituelle…
De ce dispositif de l’Amour en œuvre et en acte [la grâce a proprement parlé] et maintenant explicité, une intelligence de mon intérieur surgit en mon esprit. L’intuition est cette petite flamme fragile mais qui irradie tout et entraine tout, le corps ouvert de l’intelligence relationnelle distribue tout pour que le passage se fasse, pour que l’intuition se communique, soit reçue. Une paix, une stabilité, une solidité, un calme s’établissent dans cette rationalité intérieure posée. Je puis supporter la controverse, trouver les moyens de rebondir, de convaincre, de rendre crédible… parce que je suis situé en moi et, par cela, avec les autres… La statue peut se laisser contempler, la durée du temps appréciée.
Le vrai goût des choses…
La patine de la statue qui m’interpelle, m’inscrit dans une tradition, une durée pour convaincre, pour recommencer, pour continuer à croire à la Parole qui se dit, qui appelle à accueillir la nouveauté, à être encore davantage à ma juste place en moi-même. Cette statue est invitation à aller plus loin et, pour cela, à demeurer dans l’entre deux, dans le passage, dans la sensation… à savoir y demeurer simplement, souplement, doucement… à recevoir l’accueil maternel de celle qui reste en chemin… « Elle gardait tout dans son cœur »…
Photo : Daniel Martin © musée des Augustins