Dans l’évangile de ce dimanche, nous voyons combien l’enjeu pour Notre Seigneur
comme pour la personne atteinte de lèpre est de savoir être pleinement et librement responsable d’autrui.
La responsabilité est une fleur délicate. Elle ne se révèle pas tout de suite, elle est l’aboutissement d’un cheminement,
d’expériences vécues et reprises pour qu’elle puisse éclore, s’épanouir, fleurir, en prenant la juste conscience d’elle-même. Au début, nous nous éprouvons comme immergés dans un monde physique
seulement, nous ne percevons alors notre action que comme la contribution très minime d’une force médiocre parmi d’autres forces, souvent bien plus grandes qui nous entrainent... il y a aussi
notre cœur qui subit et s’agite mais sans lien véritable avec ce que nous faisons.
« Dans une avalanche, aucun flocon ne se sent jamais responsable. » de Stanislav Jerzy Lec
A ce moment, lorsque les choses, les êtres changent, bougent, nous y voyons surtout l’œuvre du temps, de la durée. Peu à peu les
changements s’opèrent, de par cette durée accumulée qui donnent aux forces de travailler, le temps nous apparaît comme ce qui entraine tout. Flux dans lequel je baigne sans recul...
« Le temps est responsable de tout ! » Paul Javor Sa raison de vivre
Et pourtant, que nous fassions de la peine à un autre, que nous le blessions et tout change : un trouble dans mon cœur, une
désolation... J’apprends à me connaître différent de celui que je m’imaginais. Je ne suis pas que cette force qui va imperturbable.
« Une meilleure connaissance de soi nous aide à nous pencher sur autrui et à nous sentir responsable... »
Anonyme
J’apprends ainsi à considérer l’autre. Il se manifeste alors comme source personnelle de savoir, de connaissance sur moi. Je découvre
que je ne suis pas indemne de la relation avec lui. Il me touche, il me marque. Je ne suis pas libre de faire n’importe quoi. Le temps devient autre chose : attente, ouverture...
« Tu es responsable de ce que tu as apprivoisé. » Antoine de Saint-Exupéry Le petit prince
Avec mon cœur qui s’affole, je considère autrement ma capacité d’action, rien ne me paraît plus neutre ou allant de soi comme avant
dans l’insensibilité de la nature physique.
« L'homme est responsable
de tout, pourvu qu'il le veuille. » de Naguib Mahfouz Impasse des deux palais
Cette responsabilité rejaillit même sur moi. Je considère ce que mon action peut avoir d’effet sur moi, sur mon propre devenir, sur
le sens que je puis donner aux choses, à ce qui m’arrive... Je considère cette partie passive de moi-même, je l’écoute, je me dis que de cette partie s’exprime une part réelle de
moi...
« L’homme est responsable de
lui-même. » Hafid Agoune interview sur Evene.fr - Septembre 2005
Et là, je découvre un nouvel aspect de ma liberté. La liberté ne consiste pas à pouvoir aller, venir en fonction
de ce que je considère mais d’assumer ce qui s’impose à moi, ce que je ressens, ce dont je suis responsable et en premier lieu, de moi-même, de mon devenir qui s’exprime dans ce que je
ressens.
« Être libre signifie, avant tout, être responsable vis-à-vis de soi-même. » Mircea Eliade Fragmentarium
Stranger in a Strange Land
Sommes-nous écrasés par cette responsabilité qui ne cesse de croître en étendue et en implication. Oui, jusqu’au moment où je ne
prends plus la question à partir de ma seule capacité d’action considérée seulement en elle-même mais à partir de la relation envers l’autre. Si je le sers, si j’assume ma responsabilité envers
lui alors mon action retrouve un nouvel orient. Le désespoir s’éloigne. Je m’éprouve proportionné à la situation parce que je m’y rapporte autrement, à partir de ce que je ressens... Je peux
répondre de tout moi-même, simplement.
« Nul ne peut se sentir, à la fois, responsable et désespéré. » Antoine de Saint-Exupéry Pilote de guerre
Nous sommes en fait appelés à prendre les questions autrement. En mesurant notre vrai point de départ, la relation, nous trouvons la
juste modalité de l’action. Elle ne peut plus être seulement la mise en mouvement de ce que nous pouvons penser ou imaginer, elle se révèle comme réponse à un autre...
« L’action ne dérive pas de la pensée mais d’une bonne volonté à assumer ses responsabilités. » Dietrich Bonhoeffer
The Speajer's Electronic Reference Collection
Ma manière de me comprendre bascule, je ne me pense plus à partir de ma capacité d’action mais à partir de la relation avec autrui,
de ce que j’expérimente de lui, l’autre ne surgit pas devant moi, il est déjà là et me sollicite pour devenir. Je m’éprouve comme être répondant, trouvant là une identité véritable. J’assume ma
situation à partir de ma personne, mais une personne se sachant appelée, suscitée par l’autre mais répondant d’elle-même.
« Le moi, devant autrui, est infiniment responsable. » Emmanuel Levinas
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